“Les femmes jouent un rôle crucial dans la promotion de la paix et ont un talent naturel pour favoriser la réconciliation et la résolution des conflits, mais malheureusement leurs droits et leur leadership sont souvent oubliés en temps de crise et de guerre.”
Au Niger, Ibrahim Mariama Allassane est la coordinatrice d'une ONG appelée Réseau des Femmes pour la Paix au Niger (REFEPA Niger). Depuis 2006, Mariama Allassane et ses collègues encouragent le changement et la paix en première ligne des conflits et continuent à agir en ce sens. Lisez notre entretien avec elle ci-dessous.
Question : Pouvez-vous nous parler de votre communauté / société, et de la situation de conflit ou d’insécurité ?
Mariama Allassane: Il n'est pas un secret que notre nation vit depuis plusieurs années une situation d'insécurité croissante. Nous étions déjà confrontés à des conflits, qu'ils soient mineurs, sociaux ou liés à des revendications de certaines populations. Cependant, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une situation d'insécurité créée par des groupes armés se décrivant comme jihadistes.
Présentement, nous sommes aussi confrontés à un autre type de crise, avec les sanctions que la communauté internationale, en particulier la CEDEAO, nous impose en réponse à cette prise de pouvoir anticonstitutionnelle.
Question : Pouvez-vous décrire votre activité/initiative et le rôle que vous jouez ?
Mariama Allassane: À ses débuts, notre ONG était fréquemment sollicitée pour participer à des médiations entre le gouvernement et les étudiants. Nous avons également été impliqués dans la résolution de problèmes tels que ceux survenus à Diffa et lors de la première rébellion au Niger. Notre ancienne coordinatrice s'était rendue à Agadez avec l'aide de l'ONG "Femmes contre la Guerre", qui a facilité le contact avec les responsables de la rébellion en vue de négociations visant à rétablir la paix. À l'époque, ces conflits pouvaient être considérés comme de moindre envergure par rapport aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Cependant, au fil du temps, notre ONG a élargi son champ d'action pour se concentrer davantage sur les droits des femmes et l'égalité des droits, en particulier en ce qui concerne la propriété foncière rurale. Nous avons constaté que dans un pays principalement rural comme le Niger, les femmes étaient souvent privées de leurs droits fonciers.
À titre d'exemple, une fois mariée, la femme reçoit de son mari un petit lopin de terre, et en cas de divorce, il le récupère. Ces pratiques sont courantes, que ce soit en zone Zarma ou Haoussa, elles demeurent les mêmes. Ce lopin de terre est utilisé pour cultiver des légumes destinés à la cuisine familiale. Lors d'un divorce, la femme ne reçoit généralement que la pension alimentaire pour les enfants, sans qu'il y ait de partage de biens ou de propriété commune. Elle perd tous ses droits, y compris celui sur la terre. Toutefois, il est important de noter que la femme a le droit d'hériter après le décès de son époux, notamment en ce qui concerne ses terres. Les lois prévoient qu'elle peut hériter d'un huitième des biens laissés par son mari. Cette règle s'applique quel que soit le nombre d'épouses. Elles se partagent alors un huitième des biens, y compris les terres. Le Coran stipule que la femme a le droit d'hériter des biens de son père et de son mari dans des proportions spécifiques. Cependant, en pratique, les hommes peuvent contourner ces dispositions, car la plupart des femmes ne disposent pas de pièces d'identité officielles.
À travers des séances de sensibilisation et de prédication, nous avons réussi à inciter de nombreuses femmes à obtenir des pièces d'identité civile, ce qui leur a permis de sécuriser leurs biens. De nos jours, cette préoccupation n'est plus aussi prégnante, bien que dans certaines régions du Niger, le problème subsiste. Récemment, j'ai entendu dire qu'une femme n'avait pas le droit à la terre dans un village de l'ouest du pays, où l'on considérait que cette terre devait être partagée entre ses fils. En réponse à de telles situations, nous avons mis en place un programme de formation pour mille médiatrices dans trois régions du Niger, à savoir Tillabéry, Maradi et Dosso.
Parmi les nombreux autres projets que nous avons entrepris, l'un d'entre eux visait principalement à atténuer les conflits intercommunautaires entre les agriculteurs et les éleveurs dans la région de Dosso et le département de Madarounfa. Chaque année, ces zones étaient le théâtre de violents affrontements, parfois même entraînant des décès parmi les agriculteurs et les éleveurs.
Pour faire face à cette situation, nous avons sélectionné 27 villages considérés comme étant à haut risque. Dans ces villages, nous avons identifié des femmes leaders, choisies par leurs communautés, et nous les avons formées. Nous leur avons enseigné les principes du Code Rural, ce qui a permis de régler de nombreux problèmes. Ensuite, nous les avons sensibilisées aux techniques de médiation concernant des questions telles que les couloirs de passage, les aires de pâturage et le respect des périodes d'ouverture et de fermeture pendant l'hiver. Ces femmes ont été équipées de radios et de kakémonos portant sur ces thèmes, de manière à pouvoir sensibiliser les gens lors d'événements tels que les mariages ou les jours de marché. En cas de conflit, elles intervenaient pour appliquer ce qu'elles avaient appris. Ainsi, ceux qui causaient des dommages se sont retrouvés à se signaler d'eux-mêmes, alors qu'auparavant, notamment les éleveurs, fuyaient pour éviter les sanctions. De plus, nous leur avons fourni des registres par village pour enregistrer les problèmes rencontrés. Cela nous a permis de suivre et d'évaluer leur travail et de voir ce qu'elles ont pu résoudre en termes de conflits.
Il est essentiel de souligner que nous sommes engagées dans une lutte continue contre les causes profondes de l'insécurité. Récemment, nous avons achevé un projet dans le sud de la région de Maradi, où nous avons ciblé le problème de l'inactivité des jeunes, en réponse à l'observation du recrutement massif de jeunes par des groupes armés. Nous sommes intervenus dans 28 villages, et dans chacun d'entre eux, nous avons sollicité les jeunes pour connaître leurs aspirations en matière d'activités. En fonction de leurs besoins, nous avons établi des centres de formation en mécanique, couture, fabrication de produits cosmétiques, extraction d'huile d'arachide et tricotage. À la fin de leurs formations, nous les avons soutenus en leur fournissant des kits pour qu'ils puissent durablement exercer leurs activités. De plus, nous avons mis en place des programmes d'alphabétisation fonctionnelle pour les jeunes et les femmes de ces villages, dans des bâtiments modernes que nous avons spécialement construits à cet effet. Cela contribue à renforcer la stabilité et à offrir de nouvelles perspectives aux jeunes et aux communautés locales.
Question : Pouvez-vous nous raconter votre parcours, et les défis auxquels vous avez fait face (si c’est le cas) ?
Mariama Allassane: Ce qui m'a personnellement conduit à m'engager dans ces actions, y compris en politique, est que je suis en contact direct avec la population. Dans mon environnement, il y a des personnes qui croient en moi et qui me posent des questions ou me sollicitent pour résoudre des problèmes. Lorsque j'ai été élue au parlement, il est arrivé que nous soyons envoyées en tant que parlementaires pour écouter les différentes parties et tenter de résoudre des conflits locaux qui se produisaient dans nos environs. En 2006, la coordinatrice de notre association, que je côtoie régulièrement, a participé à une réunion internationale à Conakry, un atelier sur la résolution des conflits organisé par le réseau des femmes de Monrovia. Elles souhaitaient partager leurs expériences avec les femmes des pays membres de la CEDEAO. La coordinatrice de notre association nous a invitées à participer à cet événement. Lors de cette occasion, nous avons pris la décision de créer des réseaux de femmes pour la paix dans les États membres de la CEDEAO. Nous avons constaté qu'il y avait de nombreux conflits dans la sous-région, et nous nous sommes inspirées de l'expérience des femmes de Monrovia qui avaient énormément contribué à ramener la paix entre les États membres. Elles avaient même obtenu le statut d'observatrices au sein de l'Union Africaine et de la CEDEAO."
À cette époque, au Niger, les défis étaient liés à la rébellion, et il était essentiel que les femmes s'engagent dès le début des années 2000 en vertu de la résolution 13-25. Cette résolution a rencontré un accueil favorable, car aujourd'hui, les préfets, les chefs de canton, les chefs de village connaissent tous le rôle essentiel joué par les femmes médiatrices. Ils font régulièrement appel à ces femmes pour résoudre divers problèmes, qu'il s'agisse de conflits familiaux, de différends entre éleveurs et agriculteurs, ou d'autres litiges. Ces femmes médiatrices ont réussi à réconcilier des villages qui étaient en conflit depuis des décennies.
Question : Pensez-vous que les femmes sont importantes pour la paix ?
Mariama Allassane: Absolument ! Les femmes jouent un rôle crucial dans la promotion de la paix. En tant que mères et épouses, elles sont souvent écoutées et respectées au sein de leur communauté. Les femmes possèdent un talent naturel pour favoriser la réconciliation et la résolution de conflits. Peut-être est-ce lié à leur rôle dans la création et la préservation de la vie, mais elles ont cette capacité unique à contribuer à la résolution des problèmes en cas de conflits.
Cela met en lumière l'importance de l'inclusion des femmes dans les processus de paix et de médiation, car leur perspective et leurs compétences sont inestimables pour la construction d'un avenir plus pacifique.
Question : Pensez-vous que les femmes jouent un rôle suffisant pour la paix dans votre contexte (village, ville, pays) ?
Mariama Allassane: Non, je dirais qu'elles ont le potentiel et les compétences nécessaires, mais elles ne sont pas toujours pleinement impliquées. Au Niger, nous avons formé des femmes médiatrices dans seulement une dizaine de communes, alors que nous avons 276 communes au total. Au départ, certains acteurs, comme les chefs traditionnels, étaient réticents et suivaient nos femmes médiatrices dans les salles de formation. Nous avons dû expliquer que ces femmes sont en réalité leurs alliées en qui ils peuvent avoir confiance. Ils ont vu que ces femmes médiatrices résolvaient des conflits importants et à présent, rien n’est fait sans elles ! C’est le chef de village même qui demande la présence de ces femmes dans toute résolution de conflits.
Si cette approche pouvait être étendue à l'échelle nationale, elle contribuerait grandement à résoudre de nombreux problèmes et à mieux encadrer la population par le biais de la médiation des femmes médiatrices.
Question : Quelles sont vos motivations, et quel objectif visez-vous avec votre initiative?
Mariama Allassane: Notre objectif premier est de contribuer, notamment par le leadership féminin, à influencer la paix, à œuvrer pour son retour, et à lutter en sa faveur. Nous souhaitons être pleinement impliquées dans les questions de prévention et de gestion des conflits au niveau national, tout en préservant les droits des femmes. Il est regrettable que pendant les périodes de crises et de guerre, les droits des femmes soient souvent négligés. Nous avons tous été témoins des nombreuses agressions dont les femmes ont été victimes dans certaines régions, que ce soit de la part des groupes armés ou des forces de défense et de sécurité sensées les protéger.Nous avons même connaissance de cas de viols commis par des soldats, et nous avons soutenu les victimes tout en cherchant à les sensibiliser, ainsi que leur entourage, en vue de leur réinsertion sociale. De plus, nous leur avons accordé de petites subventions pour les aider à entreprendre des activités.
Je tiens également à souligner qu'avec le climat d'insécurité actuel, nous assistons à la naissance de nombreux groupes de femmes et d'ONG, chacun œuvrant dans un secteur spécifique pour promouvoir la paix. Suite à la prise de pouvoir par les militaires le 26 juillet, les femmes se sont unies pour faire des déclarations importantes. Récemment, une ONG nous a conviées à un "dialogue féminin" au cours duquel les femmes ont pu exprimer leurs opinions sur les attentes de la population. Il est encourageant de voir les femmes prendre la parole pour partager leurs points de vue sur la situation actuelle.
En ce qui concerne l'aspect humanitaire et sécuritaire, nous devons travailler main dans la main pour obtenir des résultats plus significatifs. Chacun de nous œuvre pour le retour de la paix, et les récentes discussions lors du dialogue féminin ont mis en lumière de nombreuses préoccupations. Les femmes ont brisé le silence et tiennent à préserver les acquis obtenus jusqu'à présent.