“Je rêve d'une paix durable pour mon pays. Je rêve d’un dialogue franc pour la paix.”
Laila Dicko, 53 ans, est enseignante de profession au Mali et milite pour l'égalité et la paix dans son pays depuis plus de 20 ans. Aujourd'hui présidente du collectif régional des femmes pasteurs de Ségou, elle revient avec nous sur son engagement à défendre les droits des femmes de sa communauté et de son pays.
Question : Pouvez-vous nous raconter votre parcours dans le combat pour l’émancipation des femmes dans votre communauté ?
Laila Dicko : Mon engagement à porter la voix des femmes dans ma communauté est parti du fait de la marginalisation des petites filles de leur droit à l’éducation. Il a donc fallu du temps et sensibilisation des sœurs dans les tontines et les regroupements féminins pour les persuader à reconnaitre l’importance de l’éducation des petites filles. Aujourd’hui, en dépit des pesanteurs socio culturelles qui entourent la place de la fille et de la femme dans nos sociétés, plusieurs écoles maternelles sont aujourd’hui créées et des centaines de petites filles fréquentent désormais les jardins d’enfant à travers la commune. Véritablement, ce fut le départ de mon combat pour l’émancipation des filles et des femmes dans ma communauté.
Aussi, en 2004, j'ai été élue secrétaire administrative de la Coordination locales des associations et organisations féminines (CAFO) de la commune de Macina. Dès lors, j’ai participé à toutes les rencontres de cadres visant le développement local. Et, chaque fois dans les réunions, je rappelle la dimension genre dans les planifications du développement économique, social et culturel de la commune.
Question : Pouvez-vous nous parler des conflits et ou de cas d’insécurité que vous avez vécus dans votre communauté ? Et comment ces conflits ont-ils été résolus ?
Laila Dicko : C’est toujours un cri de cœur en abordant la question de paix et de la sécurité humaine dans notre communauté. La crise de leadership politique et la gestion des ressources naturelles sont les principales sources de conflits que nous vivons au quotidien. Dans les deux cas, ces crises affectent notre vie en communauté. Il faut aussi souligner que le conflit foncier est le plus récurrent, exacerbé par des enlèvements d’animaux et des incursions sporadiques des groupes armés dans les forêts des alentours. Parfois, il arrive aussi que la divagation des animaux dans les champs agricoles engendre de vives tensions entre les agriculteurs et les éleveurs.
Question : Quelle a été votre implication dans la résolution de ces conflits ?
Laila Dicko : En partenariat avec la mairie et les autorités administratives, nous organisons des dialogues communautaires pour le règlement pacifique des différends. Nous utilisons des bons offices et parfois des lobbies auprès des légitimités coutumières pour intercéder dans la recherche de la paix et le vivre ensemble. Je me souviens que trois ou quatre conflits fonciers ont pu être apaisés grâce au mécanisme traditionnelle de gestion des différends. La justice moderne n’est pas indiquée pour résoudre tous les conflits. Malgré une accalmie précaire, je reste triste que le terrorisme persiste et fait déplacer des dizaines de femmes et d’enfants dans notre commune. A ce jour, la reprise des classes est rendue presque impossible à cause de l’hébergement des personnes déplacées internes dans nos établissements scolaires avant de trouver un site pour eux.
Question : Selon vous, pourquoi les femmes jouent-elles un rôle clé dans la consolidation de la paix, en général ?
Laila Dicko : Dans tous les cas, je pense que les femmes ont un grand rôle à jouer dans la consolidation de la paix. Car, la paix commence dans la famille, puis dans le village et ensuite dans la communauté entière. La femme demeure le pilier dans nos familles. Et, si elle arrive à maintenir la paix au niveau de la famille, elle maintiendra la paix dans le village, ainsi que dans la communauté tout entière. Je pense que chaque femme doit être consciente de ce rôle qu’elle peut jouer pour renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble dans notre pays.
Question : Pensez-vous que les femmes s’impliquent suffisamment dans la recherche de paix au Mali ? Si non, quels sont les freins à leur implication ?
Laila Dicko : Nous les femmes, nous nous impliquons dans la résolution des conflits, autant que nous pouvons. Il est facile pour nous d’organiser des actions de sensibilisation et de plaidoyer que d’user des armes pour créer et maintenir les conditions de paix et de sécurité.
Question : Quelles sont vos rêves pour la paix dans votre communauté/ au pays ?
Laila Dicko : Oui, je rêve une paix durable pour mon pays. Je rêve de voir un dialogue franc pour la paix dans notre commune et plus loin entre les fils égarés au sein des groupes armes et les décideurs à tous les niveaux au Mali. Je rêve de voir une analyse profonde des conflits pour une résolution durable des griefs qui nous opposent les uns contre les autres. Je rêve que notre pays, le Mali redevienne un havre de paix et de cohabitation pacifique.
Question : Avez-vous quelques choses à ajouter que nous n’avons pas abordées ?
Laila Dicko : Aussi, j’en appelle la communauté internationale à accompagner efficacement le Mali dans la recherche de la paix durable. Je pense que chaque acteur national ou international doit s’interroger sur sa part de responsabilité dans la gestion des conflits dans mon pays. Il faut reconnaitre que la mauvaise gouvernance est la racine de tous les conflits que nous connaissons dans nos communautés. De ce fait, j’interpelle nos autorités administratives et politiques sur la nécessité d’imposer une bonne gouvernance des institutions. Il faut que chaque citoyen ait confiance en la justice et la gestion transparente des affaires publiques. Il est important que notre pays ne fasse pas de citoyen supérieur, moins encore de citoyen inferieur.
Propos recueillis par Djigui Keita, Conseiller en Communication et Media, Oxfam au Mali