“Ce qui me motive, je l'ai toujours dit, c'est la vision d'un monde idéal que j'ai en tête, un monde où nous vivons tous et toutes en paix. ”
Oumarou Hega Nourrath, plus connue sous le nom de Nourrath la Debboslam est artiste slameuse et coordinatrice de l'ONG Debbo'arts au Niger. À l'occasion du débat public annuel du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, nous avons échangé avec elle au sujet de son travail en faveur de la paix dans sa communauté.
Question: Pouvez-vous nous parler de votre communauté / société, et de la situation de conflit ou d’insécurité ?
Nourrath: Je suis nigérienne, et nous vivons dans une zone en proie à des conflits avec des déplacements massifs de populations. Selon le HCR, au moins 300 000 enfants dans la région de Tillabéri ne peuvent plus fréquenter l'école en raison de cette situation. Cela a contribué à l'augmentation des actes de violence basée sur le genre au sein des communautés touchées par la crise. En plus de cela, l'insécurité en milieu urbain est un problème persistant qui entrave le bien-être des habitants chaque jour davantage.
Dans le milieu scolaire, les jeunes sont exposés à la radicalisation violente à différents niveaux. Les jeunes filles, en particulier, sont victimes de harcèlement sexuel, et dans certains cas, elles sont agressées sexuellement par d'autres élèves ou même par des enseignants. Ces dangers poussent les parents à marier leurs filles avant qu'elles n'atteignent l'adolescence, ce qui contribue malheureusement à la prévalence des mariages précoces et forcés au sein de ma communauté, et cela se fait souvent en toute connaissance de cause.
Dans les foyers, certaines femmes subissent des abus de la part de leurs conjoints, y compris des violences physiques, et la société considère souvent cela comme normal. Dans la société nigérienne, il est courant de penser que la femme doit être "corrigée" ou "punie" en cas de faute présumée. Ces formes de violence à l'encontre des femmes sont largement tolérées, et elles sont souvent réticentes à en parler en raison des tabous qui subsistent dans notre société. Malheureusement, de telles violences sont devenues une triste habitude pour de nombreux hommes.
Aujourd'hui, cette violence est dénoncée parce que les femmes ont commencé à en parler au sein de leur communauté, grâce aux interventions des ONG, à l'influence des réseaux sociaux et de la télévision, ainsi qu'à la création de groupements féminins un peu partout à travers le pays. Les femmes parviennent à échanger entre elles tout en se prodiguant des conseils.
Question : Pouvez-vous décrire votre activité/initiative et le rôle que vous jouez ?
Nourrath: Notre ONG, Debbo'arts, est une structure récente, ayant seulement un an d'existence et composée de six membres. Nous l'avons fondée collectivement et nous travaillons activement à son expansion. En plus de mon rôle de coordinatrice, je suis également une artiste slameuse. À travers mes œuvres diffusées dans les médias, je parviens à véhiculer des messages importants notamment sur la paix et la cohésion sociale. C'est d'ailleurs pour cette raison que les autres membres ont choisi de se joindre à moi pour lutter contre les problèmes qui affligent notre société.
Au cours de cette première année (2022), nous avons réussi à organiser la première édition d'un festival appelé "SARAOUANIA", qui signifie "reine" en langue haoussa. Ce festival consiste en réalité en 48 heures de discussions avec de jeunes filles venues de toutes les régions du Niger, abordant diverses thématiques liées au bien-être des femmes. Parmi celles-ci, on retrouve "l'art comme outil pour lutter contre l'extrémisme violent". Ces 48 heures ont été marquées par des échanges intensifs entre nous et les jeunes participantes. Nous avons également eu la chance d'inviter des experts en violence basée sur le genre et en médiation communautaire, ce qui a grandement facilité nos discussions. À la fin de l'événement, nous avons rédigé des recommandations avec les jeunes filles, que nous avons intégrées dans le rapport d'activités diffusé à travers les réseaux sociaux.
Ensuite, nous avons organisé le Festival international des cultures africaines et du vivre ensemble, incluant la Nuit de la paix, qui a coïncidé avec la Journée internationale de la paix le 21 septembre 2023. Nous avons profité de cette occasion pour promouvoir la paix à travers une caravane que nous avons organisée dans différents carrefours de Niamey, en utilisant les langues locales. La caravane s'est terminée par un concert en plein air, avec la participation d'artistes qui soutiennent notre cause. Initialement, le festival était prévu pour durer une semaine et comprendre une foire appelée "Musée des ethnies", qui aurait réuni toutes les communautés vivant au Niger. Cependant, en raison de la crise politique que traverse le pays depuis juillet dernier, nous nous sommes limités à la communauté peule de Niamey.
Prochainement, nous allons lancer l'initiative "CAFE SAROUANIA", qui consiste à des débats que nous organiserons tous les deux mois dans nos locaux, réunissant des jeunes femmes autour de panélistes pour discuter de thèmes liés aux femmes, à la paix, au pays et éventuellement à la sous-région. Cette initiative vise à aider la communauté en général, en mettant particulièrement l'accent sur les femmes, et nous envisageons de l'élargir aux hommes pour permettre des débats publics sur ces sujets.
Question : Pouvez-vous nous raconter votre parcours, et les défis auxquels vous avez fait face (si c’est le cas) ?
Nourrath: Comme toutes les artistes, et même les artistes masculins d'ailleurs, mes débuts ont été particulièrement difficiles, surtout ici au Niger. Les parents étaient catégoriques, certains amis me posaient souvent la question : "Qu'est-ce que tu fais là-dedans ?" Je me souviens qu'à l'époque où j'étais encore à l'université, mon père m'avait demandé d'arrêter complètement de passer à la télévision. Cependant, avec le temps, il a fini par accepter. Ma mère considérait cela comme une phase de jeunesse, pensant que cela finirait par passer. En réalité, j'ai commencé à m'impliquer dans la comédie dès mon plus jeune âge, lorsque j'étais à l'école primaire, en tant que danseuse puis actrice dans un film. Ma mère réussissait toujours à convaincre mon père en disant que je ne faisais que lire des poèmes sur scène. Avec le temps, nous avons incorporé des rythmes dans nos slams, ce que mes parents ont fini par accepter au fil du temps. Leur principale préoccupation était de s'assurer que j'aurais un avenir stable, car à un moment donné, je dépendais financièrement d'eux. Il est important de noter qu'au Niger, il est souvent difficile de trouver un emploi après les études. Grâce à mon art, j'ai pu réussir et convaincre ma famille. En tant que l'aînée de mes parents, j'ai même commencé à les soutenir financièrement dans les dépenses de la maison.
Dans la vie, il est essentiel de savoir ce que l'on veut et de ne pas abandonner en cours de route, car d'autres parents peuvent prendre exemple sur votre réussite pour encourager leurs propres enfants à poursuivre une carrière artistique.
Question: Pensez-vous que les femmes sont importantes pour la paix ?
Nourrath: Les femmes jouent un rôle extrêmement important dans la promotion de la paix. Je soutiens cette idée parce qu'au fond, ce sont elles qui ont souvent une influence décisive au sein des foyers. En d'autres termes, ce sont celles qui sont au cœur des familles qui peuvent influencer positivement les hommes impliqués dans les conflits. Les femmes ont le potentiel de tout changer si elles prennent conscience de la puissance de leur impact sur la société. À ce jour, de nombreuses femmes ne réalisent peut-être pas pleinement qu'elles ont le pouvoir d'influencer les idées des hommes.
Il est encourageant de voir que les choses évoluent, même s'il reste encore du travail à faire. Cependant, pour que les femmes puissent jouer pleinement leur rôle dans la promotion de la paix, elles doivent être informées, formées, avoir accès aux médias et participer activement aux prises de décisions à tous les niveaux de la société.
Question: Pensez-vous que les femmes jouent un rôle suffisant pour la paix dans votre contexte (village, ville, pays) ?
Nourrath: Nous constatons que malgré la loi sur le quota, établissant un quota de femmes dans les fonctions électives, les autorités ont du mal à la faire respecter au Niger. Les 30 % de postes réservés aux femmes ne sont pas pleinement honorés. Par exemple, avec le régime d'exception actuellement en place dans le pays, aucune femme n'est associée aux protagonistes membres du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, alors même que le pays compte de nombreuses femmes officiers supérieurs qui ont fait leurs preuves au sein de l'armée et de l'administration au Niger. C'est pourquoi je soutiens que les femmes ne sont pas suffisamment incluses dans les prises de décision, et même lorsque cela se produit, cela ne devrait pas se limiter à quelques femmes, mais inclure toutes les femmes nigériennes. Par conséquent, j'appelle à une véritable inclusion de tous les segments de la société, hommes, femmes et jeunes, dans le processus décisionnel du pays, dans le but d'éradiquer toutes les formes de violence dans notre nation.
Quelles sont vos motivations, et quel objectif visez-vous avec votre initiative/activité ?
Nourrath: Ce qui me motive, je l'ai toujours dit, c'est la vision d'un monde idéal que j'ai en tête, un monde où nous vivons tous et toutes en paix. L'idéale de la femme nigérienne pour moi, c'est celle qui lutte pour le changement, qui démontre un certain niveau de leadership et qui parvient à s'affirmer. C'est également une mère au foyer qui s'impose, se respecte et accepte les opinions des autres. Pour moi, la femme idéale est celle qui parvient à trouver un équilibre entre sa vie à la maison et sa carrière professionnelle sans nuire aux autres ni se négliger elle-même.
En ce qui concerne l'avenir, dans 10 ans, je vois Debbo'Art devenir une organisation très importante, voire même un grand centre d'accueil, d'écoute et d'orientation pour les jeunes et les femmes victimes de violence. Je prévois également d'y inclure un centre de formation professionnelle gratuit, où nous enseignerons la couture, la menuiserie et l'art aux jeunes. Nous aimerions également aider les jeunes en conflit avec la loi, ceux qui sont sortis de prison et ont besoin de réinsertion professionnelle.