“Les femmes mènent des actions de sensibilisation et de plaidoyer pour la paix. Malheureusement, elles ne sont pas toujours consultées ou suffisamment représentées dans les instances de décision.”
Maiga Sina Damba est la présidente du Réseau des femmes africaines ministres et parlementaires (REFAMP/Mali), une organisation fondée au Mali en 1996. Depuis, le REFAMP travaille sans relâche pour l'émancipation et la promotion des femmes. Le REFAMP promeut la représentation égale des femmes et des hommes dans les instances décisionnelles aux niveaux national, régional et international en renforçant les compétences des femmes leaders en matière de plaidoyer.
Question: Pouvez-vous nous raconter votre parcours dans le combat pour l’émancipation des femmes dans votre communauté ?
Maiga Sina Damba: Si je dois vous parler de mon parcours, je vais remonter jusqu’à mon enfance, en effet, j’ai grandi auprès de mes mamans dans la famille traditionnelle africaine où je les ai vues se battre tous les jours pour assurer la survie de la famille que ce soit dans les foyers ou dans les champs (travaux domestiques ou champêtres). Cela m’a beaucoup marquée et depuis cette époque, j’ai décidé de me battre pour un jour contribuer à l’amélioration des conditions de vie à travers leur autonomisation et leur émancipation surtout au niveau du monde rural particulièrement dans la communauté soninké. J’ai rapidement compris que je devais prendre très au sérieux les études, avoir un diplôme pour échapper à cette vie et aussi au mariage précoce : le sort de toute jeune fille soninké à l’époque, c’était le mariage et ensuite le même sort que ce que vivaient les femmes : mariage, foyer, enfants à élever dans des situations difficiles. J’ai pu donc poursuivre les études jusqu’à l’université ou j’ai décroché ma maitrise en droit. Je venais d’échapper à un système établi pour les filles et les femmes depuis la nuit des temps.
Après les études, je me suis investie dans la vie associative. De formation en formation, de conférence en conférence, du Mali à d’autres pays africains, de l’Afrique vers d’autres continents, j’ai pu apprendre beaucoup de choses, me frotter à beaucoup d’expériences pour enfin développer mes capacités en leadership. Grâce à ces expériences en matière de leadership, j’ai fondé avec d’autres collègues une ONG qui s’appelle Association de Formation et d’Appui au Développement. AFAD s’est donnée comme mission de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des femmes et des enfants par un accès équitable aux services sociaux de base tels que la santé, l’éducation, l’eau potable et à une gouvernance partagée des ressources naturelles. J’ai travaillé avec AFAD pendant une douzaine d’années avant de devenir Chef de Cabinet d’un département ministériel pendant cinq ans.
Ensuite, j’ai eu l’honneur et le privilège d’être nommée ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille entre 2007 et 2011. Cette mission m’a permis d’être au cœur de la prise de décision et de faire valoir mon leadership. Au cours de mon passage à la tête du ministère, grâce à la volonté politique affichée et à l’engagement de mon équipe, nous avons pu élaborer la politique nationale genre du Mali qui est aujourd’hui le cadre de référence pour toutes les interventions du gouvernement et ses partenaires en matière de promotion de l’égalité et l’équité du genre au Mali.
Question: Pouvez-vous nous parler des conflits et ou de cas d’insécurité que vous avez vécus dans votre communauté ? Et comment ces conflits ont-ils été résolus ?
Maiga Sina Damba: J’ai de l’amertume chaque fois que je dois parler des questions de paix et de sécurité pour mon pays. Jadis, j’ai connu un pays stable et calme où il faisait bon vivre dans toutes nos communautés à travers des mécanismes comme le cousinage à plaisanterie[1]et bien d’autres. Malheureusement depuis plus d’une décennie maintenant, je vois mon pays déchiré, déchiqueté, avec crise multidimensionnelle qui a secoué les fondements même de la République. La crise a surtout impacté la vie des femmes, des filles, des personnes âgées. Leurs droits fondamentaux ont été violés.
J’ai vu aussi des jeunes gens amputés accusés de vol, des familles séparées et ou déplacées, des enfants abandonnés. À Bamako, parmi les populations déplacées nous avons rencontré des femmes et filles violées souvent collectivement. Pire, des enfants sont nés de ces viols. Que vont-ils devenir ces enfants ? C’est très douloureux de se rappeler de certains récits des victimes. Ainsi nous avons vu des camps de déplacés en plusieurs endroits à Bamako, mais aussi des camps de réfugiés dans les pays voisins comme le Niger, le Burkina Faso la Mauritanie.
A l’époque, les femmes du Mali, à travers leurs associations, ONG ou coordinations, ont apporté leur assistance financière et matérielle à ces communautés en situation difficile. A l’époque, les femmes leaders du Mali n’étaient pas préparé à de telles situations, nous avons sollicité certains partenaires comme ONU Femmes pour avoir organiser des sessions de renforcement de capacités des femmes en technique de gestion des conflits, et en médiation pour la résolution des conflits.
Question: Quelle a été votre implication dans la résolution de ces conflits ?
Maiga Sina Damba: Je n’ai pas agi seule. J’ai toujours collaboré avec d’autres femmes leaders pour faire face à cette situation, nous avons eu la possibilité de partager les expériences de nos sœurs de la Côte d’Ivoire, du Rwanda, de la Sierra Leone, de la Mano River, etc…
Après ce partage d’expériences vécues par d’autres femmes, nous nous sommes mobilisées en vue d’une plus grande implication des femmes dans la prévention et la gestion des conflits, elles doivent être impliquées dans la résolution des conflits, car elles demeurent avec leurs enfants les plus vulnérables. Malheureusement, les hommes qui sont à la base des conflits sont aussi les acteurs principaux dans les négociations et les médiations.
Par ailleurs, je vous informe que j’ai été bien impliquée dans la médiation et la gestion du conflit au Mali. Je fais partie des neuf femmes qui ont été nommées au Comité de Suivi de l’Accord pour la paix et la Réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger.
Question: Selon vous, pourquoi les femmes jouent-elles un rôle clé dans la consolidation de la paix, en général ?
Maiga Sina Damba: Les femmes subissent de plein fouet les impacts des conflits. Elles sont contraintes à fuir. Elles abandonnent tout, y compris leurs activités génératrices de revenus. Elles restent les personnes les plus vulnérables. De ce fait, elles doivent être suffisamment impliquées dans la résolution des conflits. Par exemple, l’article 51 de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale invite organisations de femmes, de jeunes, les Autorités Traditionnelles à apporter leur plein concours à la réalisation des objectifs de l’Accord. Le CSA s’est réuni plus d’une quarantaine de fois, nous Femmes membres de ce Comité, avons attiré l’attention des décideurs sur la participation effective des femmes dans les différents mécanismes créés pour la mise en œuvre de l’Accord à tous les niveaux : local, régional et national. A chaque session, nous avons mis l’accent sur l’accès des femmes et de leurs enfants aux services sociaux de base (écoles, centres de santé, eau potable, énergie, etc…)
Question: Pensez-vous que les femmes s’impliquent suffisamment dans la recherche de paix au Mali ? Si non, quels sont les freins à leur implication ?
Maiga Sina Damba: Oui. Je pense que les femmes s’impliquent et mènent des actions de sensibilisation et de plaidoyer pour aller vers la paix. Malheureusement, elles ne sont pas toujours consultées ou suffisamment représentées dans les instances de décisions pour imposer la paix. Or, la résolution 1325 du 31 octobre 2000 et suivantes du SGNU exhorte nos États à prendre plusieurs mesures destinées à favoriser la représentation et la participation des femmes à la prévention, la gestion et la résolution des conflits, à promouvoir le respect et la protection de leurs droits.
Question: Quelles sont vos rêves pour la paix dans votre communauté/ au pays ?
Maiga Sina Damba: J’ai un beau rêve pour mon pays. Je rêve d’un Mali de paix et de partage que j’ai connu par le passé. Je rêve avec l’ensemble de mes compatriotes de revenir à ces moments de joie et de solidarité en créant les conditions de paix durable. Je suis persuadée que ces jours arriveront, sans doute. Voyez-vous ? Auparavant, les dogons et les peulhs vivaient en harmonie au centre du Mali. Tout a changé avec la crise, ces communautés ont pris les armes ou ont été armées les unes contre les autres. Il faut ramener cette entente séculaire qui existait entre ces deux ethnies. Je rêve bien de ce Mali légué par nos pères, nos grands- pères et nos arrières grands-parents. Je veux de ce Mali où les relations de voisinage, de mariage, de parenté y compris les liens lors des cursus scolaires, étaient sacrées et respectées par tous. Je rêve de ce Mali de paix, d’entente, de solidarité et de partage, ce Mali avec le cousinage entre Diarra et Traoré, Coulibaly et Kéïta, peulhs et forgerons, soninké et Malinké, Dogonos et Sonrhaï, etc…. Ce Mali, les femmes du Mali vont le recréer in shaa Allah
Propos recueillis et traités par Lalaissa Maiga, Adijatou Maiga et Djigui Keita de Oxfam au Mali
[1] Le cousinage à plaisanterie est une pratique sociale d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale qui autorise ou oblige les membres d’une même famille, certains noms de famille, certaines ethnies ou habitants de telle localité à se moquer, se railler, et cela sans colère, ni frustration ni rancune. (Source : Wikipedia)