Plus de 80 % des résolutions adoptées par le CSNU au cours de la dernière décennie concernaient l'Afrique, mais aucune n'a abouti à une paix durable.
Selon un nouveau rapport d'Oxfam, les actions et inactions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) n'ont pas permis de protéger les populations africaines de la violence et des conflits.
En conséquence, les besoins humanitaires sur le continent explosent, alors que les niveaux de financement n'augmentent pas assez pour répondre à ces besoins. Des réformes urgentes sont nécessaires pour mettre fin à la situation actuelle où les « cinq membres permanents » sont à la fois « juges et parties ».
Dans un nouveau rapport intitulé Veto contre l’humanité, Oxfam a examiné 23 des conflits mondiaux les plus longs de cette dernière décennie, dont 14 sont en Afrique, et souligne que 354 des 482 résolutions adoptées concernaient des conflits africains, mais qu'aucune d'entre elles n'a été efficace.
Ce rapport dénonce le fait que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies fassent usage de leur pouvoir de vote et de négociation pour satisfaire leurs intérêts géopolitiques propres. Ce faisant, ils sapent la capacité du Conseil à maintenir la paix et la sécurité au niveau international. La Russie et les États-Unis abusent particulièrement de leur droit de veto, bloquant les efforts de paix en Ukraine, en Syrie, dans le Territoire palestinien occupé et en Israël.
Les pays africains n'ont aucun siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, bien qu'ils représentent 54 pays et 1,4 milliard de personnes, et près d'un cinquième de l'ensemble des membres des Nations unies. L'absence de représentation permanente du continent a affaibli son influence sur les décisions mondiales cruciales.
La directrice d'Oxfam en Afrique, Mme Fati N'Zi Hassane, a déclaré :
« Le Conseil de sécurité des Nations unies a été créé à une époque coloniale révolue et est entaché de profondes inégalités qui ne reflètent pas les réalités d'aujourd'hui. Bien que l’Afrique subisse le poids du changement climatique et des conflits en cours, sa voix reste muette dans les couloirs du pouvoir mondial. Cette situation a privé l'Afrique d'opportunités de paix ».
Le rapport dénonce un autre pouvoir des cinq membres permanents qui « tiennent la plume », ce qui leur permet de conduire les négociations et d’orienter la manière dont les résolutions sont formulées et présentées (ou ignorées), là encore trop souvent en fonction de leurs propres intérêts.
Si la France et le Royaume-Uni n’ont pas utilisé leur veto au cours de la dernière décennie, ils ont, avec les États-Unis, « tenu la plume » des deux tiers des résolutions en lien avec les 23 crises prolongées étudiées par Oxfam. La France, par exemple, a tenu la plume sur plusieurs résolutions concernant les pays africains, dont celle du Mali. C’est par exemple le cas en 2023, quand le Mali avait qualifié d’« acte d’agression et de déstabilisation » le fait que la France tienne la plume de la résolution le concernant.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté près de 80 résolutions sur le Sud-Soudan et le Soudan, 53 sur la Somalie et 48 sur la Libye, mais toutes ces résolutions se sont révélées largement inefficaces pour instaurer une paix durable. Cette négligence à l'égard de l'Afrique, associée à une dynamique géopolitique complexe et à des causes profondes, a eu des conséquences dévastatrices, le continent représentant 50 % des 1,1 million de décès liés aux conflits.
Bien que la République démocratique du Congo ait fait l'objet de 25 résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies au cours des dix dernières années, la mission des Nations unies sur place (MONUSCO) a été entravée par un sous-financement chronique et un manque de coordination.
Selon ce même rapport, de nombreuses autres initiatives ne sont même pas rédigées ou présentées parce qu’elles feraient inévitablement l’objet d’un veto. Les 23 crises étudiées par Oxfam font donc l’objet de traitements les plus divers. Près de la moitié d'entre elles ont été largement négligées, avec moins de cinq résolutions chacune au cours de la dernière décennie, et aucune résolution concernant l'Éthiopie n'a pu être déposée alors qu'il s'agit de l'un des conflits les plus meurtriers du 21e siècle, avec 380 000 morts au combat.
« L'avenir de l'Afrique doit être façonné par les Africains et Africaines et le Conseil de sécurité des Nations unies doit donner à l'Afrique les moyens de relever les défis humanitaires et sécuritaires majeurs qui touchent des millions de personnes dans la région », a ajouté Mme N'Zi-Hassane.
Le nombre de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire en Afrique a plus que quadruplé au cours de la dernière décennie, ce qui a entraîné des besoins de financement considérables. Entre 2014 et 2023, l'appel coordonné des Nations unies pour les pays d'Afrique a doublé, passant de 10,07 milliards de dollars à plus de 22,3 milliards de dollars, mais moins de la moitié de ce montant a été reçu l'année dernière.
Le rapport déplore le fait que le financement de l’aide humanitaire soit entièrement tributaire des contributions volontaires, tandis que le financement des opérations de maintien de la paix par les États membres des Nations Unies est obligatoire.
Le CSNU se concentre principalement sur la sécurité, négligeant souvent les impacts du changement climatique et les besoins de développement à long terme tels que l'éradication de la pauvreté, les soins de santé et l'éducation, qui sont cruciaux pour stabiliser les régions et prévenir les conflits liés aux ressources.
Alors que le Sommet de l’avenir s’ouvre cette semaine pour donner un nouveau souffle aux Nations Unies, Oxfam appelle à réformer en profondeur le Conseil de sécurité des Nations Unies en plaidant notamment pour l’abolition du droit de veto des cinq membres permanents.
« Nous avons besoin d'une nouvelle vision qui corresponde aux réalités d'aujourd'hui et qui démantèle les héritages coloniaux. Pour ce faire, l'Afrique doit avoir un siège à la table du Conseil et celui-ci doit se concentrer sur le développement à long terme et la sécurité climatique, qui sont essentiels pour répondre aux besoins urgents du continent et réaliser la justice mondiale. Les efforts en cours, notamment de la part de l'Union africaine, sont essentiels pour faire avancer ce programme. », a déclaré Mme N'Zi-Hassane.
Fatuma Noor | Fatuma.noor@oxfam.org | +254723944682
Simon Trépanier | Simon.Trepanier@oxfam.org | +39 388 850 9970
Notes aux rédactions
- Lire le rapport Veto contre l’humanité d’Oxfam
- Oxfam a étudié les 23 crises les plus longues répertoriées dans les « Aperçus des besoins humanitaires » (publiés par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies) pendant au moins cinq années consécutives au cours de la dernière décennie, à savoir : Afghanistan, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Éthiopie, Haïti, Iraq, Libye, Mali, Myanmar, Niger, Nigeria, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Tchad, Territoire palestinien occupé et Israël, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Ukraine, Venezuela et Yémen. Source : Bureau OCHA des Nations Unies Aperçu de la situation humanitaire mondiale 2024 et UNOCHA 2014-2018.
- Au cours de la dernière décennie, 8 résolutions sur 12 concernant la Palestine et Israël, 15 sur 58 concernant la Syrie et 4 sur 7 concernant l’Ukraine ont fait l’objet d’un veto. À eux deux, la Russie et les États-Unis sont à l’origine de 75 % des 88 vetos du Conseil de sécurité des Nations Unies depuis 1989 (les autres ayant été opposés par la Chine). Ni la France ni le Royaume-Uni n’ont utilisé leur droit de veto au cours de cette période. Source : pour plus d’informations sur les vetos du Conseil de sécurité des Nations Unies, voir la bibliothèque Dag Hammarskjöld des Nations Unies (non daté), UN Security Council Meetings & Outcomes Tables: Veto List.
- La Russie et les États-Unis ont apposé ensemble 75 % des 88 vetos du CSNU depuis 1989, le reste étant le fait de la Chine. Ni la France ni le Royaume-Uni n'ont utilisé leur droit de veto au cours de cette période. La France et le Royaume-Uni n'ont pas utilisé leur droit de veto au cours de cette période : Pour plus de détails sur les vetos du CSNU, voir la bibliothèque Dag Hammarskjöld de l'ONU. (n.d.). Tableaux des réunions et des résultats du Conseil de sécurité de l'ONU : Veto List. Consulté le 20 juillet 2024. Pour plus de détails sur les résolutions approuvées, voir UNSC Resolutions.
- Sur les 23 crises prolongées, 11 (48 %) ont fait l’objet de moins de cinq résolutions au cours de la dernière décennie. Source : voir ci-dessus.
- D’après les calculs d’Oxfam, 1,1 million de personnes ont perdu la vie au cours de la période 2014-2023 dans les 23 crises prolongées. Ces calculs se basent sur la version de l’ensemble de données au niveau des conflits et sur les meilleures estimations des décès pendant les combats (par opposition aux estimations les plus élevées ou les plus basses). Source : Uppsala Conflict Data Program, données sur les décès pendant les combats, version 24.1
- Pour calculer les besoins de financement mondiaux, Oxfam s’appuie sur la base de données Financial Tracking Service du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies compilant les appels coordonnés de 2014 à 2023. Seulement 43 % du montant de l’appel total de 54,1 milliards de dollars a été effectivement collecté en 2023.
- D’après l’article 27(3) de la Charte des Nations Unies, « une partie à un différend s’abstient de voter ».
- Le nombre de personnes concernées par ces 23 crises prolongées et ayant besoin de toute urgence d’une aide humanitaire a augmenté de plus de 250 % pour atteindre 233,5 millions en 2024, contre 90,84 millions en 2015. Source : Aperçu de la situation humanitaire mondiale (2015) et (2024) du Bureau OCHA des Nations Unies.
- Selon le Bureau OCHA des Nations Unies, le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire a pratiquement quadruplé au cours de la dernière décennie, passant de 77,9 millions en 2015 à 299,4 millions en 2024. Source : voir ci-dessus.
- Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024, 199,6 millions de personnes souffraient de niveaux d’insécurité alimentaire critiques ou extrêmes dans 20 des 23 pays étudiés. Les données pour l’Iraq, la Libye et le Venezuela étaient insuffisantes ou ne répondaient pas aux exigences du Rapport mondial sur les crises alimentaires.